mardi 4 octobre 2011

Le dessin mental



Dessiner par la pensée, sans les mains, sans un crayon entre les doigts, mais en engageant son corps d'une autre manière, dessiner avec son esprit, faire surgir des formes visibles ou rêvées par le seul pouvoir de l'imagination, serait-ce donc possible ?

Michel Paysant, dont on peut voir au Louvre l'intérêt pour l'infiniment petit et l'extrêmement grand tels que la science nous permet de les approcher, s'essaie à la galerie Frédéric Giroux (jusqu'au 27 février) à une expérience scientifique d'un tout autre ordre : pendant qu'il regarde un objet, ou, en l'occurence, sa propre image dans un miroir, deux caméras suivent à grande vitesse le mouvement de l'iris de ses yeux pendant 4 longues minutes, mouvement qui est ensuite retranscrit sur papier par de fines lignes de crayon. Là où les lignes sont plus denses, plus nombreuses, c'est que l'oeil s'est reposé plus longtemps; là où la feuille est restée blanche, le regard ne s'est pas attardé. Les angles indiquent les changements abrupts de direction du regard, plus nombreux qu'on ne le croirait. Sans doute faut-il une certaine virtuosité, une certaine gymnastique oculaire consciente pour parvenir à maîtriser suffisamment ses propres mouvements de l'iris afin d'en produire un dessin cohérent : pas de correction possible, et l'incertitude jusqu'à la fin sur la qualité ou non du dessin produit, invisible pendant l'expérience.
Mais le plus intéressant (hélas absent de l'exposition), ce sont les dessins de mémoire : je pense à un être cher ou à un paysage de prédilection, je me le représente mentalement au sens propre, mes yeux le revisitent comme s'il était présent devant moi, et l'apparatus me donne ensuite la trace du dessin que j'ai ainsi "vu" (l'ai-je vu ? recréé visuellement ? rêvé ?). Ce travail sur la représentation de la mémoire par ce procédé scientifique (eyedrawing = oculographie ?) est à la fois fascinant et inquiétant. Je ne sais s'il est promis à un grand avenir, mais il fait rêver, tout en amenant à s'interroger sur la nature même de la vision.

Source : Le Monde du 20 janvier 2010

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